Quand la magie d’Angkor opère…

Siem Reap, le lundi 10 avril 2006.


Une petite journée de transports nous permet d’atteindre Siem Reap. La route désormais goudronnée promet Siem Reap à quatre heures de la capitale. C’est sans compter sur les multiples cyclistes et autres obstacles qu’il faut franchir prudemment.

En cette période de festivités – le nouvel an se prépare – les trottoirs débordent logiquement sur la route. Le voyage assure quelques frayeurs lorsqu’à l’approche des villages, on se retrouve face à quelques tables et chaises disposées au milieu de la route, un simple ruban rouge et jaune délimitant les lieux et prévenant par là même l’automobiliste. On se demande alors si les habitants ont seulement peur de la mort ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Siem Reap a considérablement changé depuis la dernière fois que je suis venu, il y a six ans. On ne compte plus désormais les hôtels haut standing. On ressent ici plus que partout ailleurs que la corruption rage dans le pays, à l’image de quelques entrepreneurs peu scrupuleux ou autres hommes politiques, qui en quelques mandats, réussissent à participer à la construction de la ville.
Au moins, l’argent sale reste au pays et l’esthétique de ces complexes cinq étoiles n’est pas trop désagréable à regarder.


Siem Reap, le mardi 11 avril 2006.


Je crois que ce pays est le pays du sourire. Dans beaucoup de pays asiatiques, le sourire est de rigueur, et toujours adressé ou rendu facilement. Mais au Cambodge, il semble être gravé sur le visage au moindre échange verbal, ou même à la moindre tentative d’échange.

A Siem Reap, on sent que le tourisme est acquis depuis bien longtemps. Pour autant, les cambodgiens ne semblent pas lassés par le troisième œil – l’objectif – des occidentaux, et s’ils le sont, ils l’évitent sourire aux lèvres. Bref, ici, on se sent l’âme en paix, on ne se sent jamais importunant.

Si la ville est polluée par les hôtels de luxe, le centre n’est pas déstructuré. Bien sûr, les commerces traditionnels ont laissés place aux bars et aux restaurants mais au moins l’architecture des immeubles à deux étages ne semble pas promise à un changement. Tant mieux, la ville conservera ses charmes.

A l’écart du centre, les pagodes restent isolées. Même si les routes qui y mènent sont désormais goudronnées, elles sont toujours des culs de sac. Les lieux d’études et de prières ne sont donc sur aucun passage et le calme y est préservé.

Je me régale ce jour de quelques visites discrètes. Dans les pagodes, la sérénité domine !


Sur le site d’Angkor, le vendredi 14 avril.


Trois jours de balade sur le site archéologique d’Angkor, trois jours que nous courrons à travers la rase campagne, les rizières, pour visiter quelques ruines, jadis des cités. Et dire que je pensais en avoir déjà vu une bonne partie. Si ce n’est les sites prestigieux, je reconnais mal un nombre important de temples. Serait-ce la chaleur qui m’assomme, ma mémoire qui flanche. Je ne reconnais pas les structures que je visite. Peut-être que, plus simplement, le domaine est tellement vaste et le nombre de temples tel qu’on pourrait le parcourir mille fois sans jamais l’approcher de la même manière.

Dans tous les cas, je continue d’être impressionné. J’imagine volontiers ces massifs de pierre abritant quelques dizaines de milliers d’âmes, fondateurs directs ou indirects de la société khmère, organisée avec ses métiers, ses armées, au cœur même d’un empire qui dépassait le Siam, à en faire rougir les Romains. Là où nous nous trouvons, les temples ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Jadis, ils dominaient sûrement des cités entières. Le « bas peuple » devait les observer avec crainte et servitude, vouant à son roi une foi démesurée.
Quelle puissance !

Je me demande ce qui a entraîné sa chute et l’a conduit quelques siècles plus tard à se faire ensevelir par la nature. Serait-ce à cause de ses propres seigneurs plus occupés à se combattre entre eux qu’à fonder et faire évoluer la société ?

Je ressens que les touristes sont une monnaie courante et qu’ils viennent de plus en plus nombreux. On ne compte plus les temples qui désormais sont rehaussés de structures en bois et que nous sommes obligés de suivre en enfilade.

Si je regrette la situation, je félicite les autorités qui au moins, ne laissant pas le nombre croissant de visiteurs éroder les lieux, se servent de cette manne touristique pour préserver les sites et engager les restaurations nécessaires.

En ce mois d’avril, le thermomètre frôle les quarante degrés. Nous sommes parfois à la limite de nous effondrer. Angkor Wat ne m’est jamais apparu comme étant aussi vaste. Les quelques centaines de mètres nécessaires pour atteindre le sanctuaire principal nous ont semblé être une éternité. C’est un corps impuissant et fatigué qui nous mène à chaque fois à bon port. Et l’esprit est parfois si occupé à lutter contre la chaleur qu’il ne mémorise plus les détails de chaque sanctuaire.

Pour cette seconde visite, je passe plus de temps à observer les cambodgiens. Ils ont fait des temples leur lieu de prédilection pour exercer leur métier. Ils sont pour la plupart des enfants à nous proposer quelques produits. Je suis stupéfait par leur gentillesse. Quand on pense au nombre de touristes qui passent dans les lieux, on aurait pu facilement imaginer une dérive et que, lassés de ne rien vendre à ces « riches » passants, ils puissent adopter un comportement plus oppressant. Mais rien n’en est. Les enfants se serviraient presque des touristes pour parfaire leurs langues et s’ils implorent parfois qu’on leur achète quelque chose, ils oublient vite ce dur labeur dès qu’on mène une petite conversation. Ils révèlent alors souvent un esprit admirable de douceur et de gentillesse.

Dans ce pays en pleine renaissance, j’espère que le futur leur réservera le meilleur.

En ces temps de festivités – le nouvel an khmer vient d’être fêté –, les temples d’Angkor sont investis de cambodgiens. Il est plaisant d’imaginer qu’un tourisme khmer est peut-être en train de naître et je me dis qu’une page de l’Histoire sera probablement tournée pour ce pays quand la visite des temples sera rendue payante aux cambodgiens. Cela signifiera au moins qu’ils généreront suffisamment de richesses.

Pour l’heure, nous clouons notre court séjour par un coucher de soleil sur Angkor Wat. Il semble que nous suivions un cortège religieux. Nous avons ce soir l’impression d’être en pèlerinage en grimpant avec quelques milliers de personnes au Phnom Bakeng. Ce sera notre dernier jet de sueur sur les temples…


Siem Reap, le vendredi 14 avril.


Nous avons ce jour plongé dans une nouvelle année khmère. A 06h48 précise ce matin, nous avons pu suivre en direct à la télévision la descente de la déesse Khemara Devi (« toute bien vêtue et redoutable croqueuse de bananes » – merci Darith pour ces précisions !) qui veillera sur le Cambodge pour l’année à venir. La passation de pouvoir s’est bien déroulée et le chien a succédé au coq. L’actuelle déesse, sa sœur, lui a donc remis les rennes avant de rejoindre ses quartiers. Bonne année 2550 de l’ère bouddhiste khmère !

Darith, l’oncle de Monyrra et notre hôte, porte avec lui la culture khmère dans son ensemble. Serait-ce un exil forcé dans son enfance qui lui a fourni cette soif de connaissance ? Car il a bataillé à son retour pour se faire accepter. Aujourd’hui, plus khmer que les khmers, il discourt volontiers sur les origines de toute chose. La culture n’est donc pas morte. Pol Pot a échoué…

Je suis plongé dans un élan de compassion quand j’entends Darith nous dire, alors que nous nous offusquons à l’idée que les crimes des Khmers Rouges n’ont pas été punis, « qu’il faut savoir pardonner mais surtout ne pas oublier ».

Je suis admiratif et reconnaissant qu’il veuille partager tant de ses instants précieux. Depuis la veille, on ne compte plus les cérémonies et remercions les bonzes de prier pour nous et de veiller à ce que notre entourage se porte bien pour ce nouvel an. Nos personnes proches disparues puissent-elles reposer en paix !

Et je m’amuse quand Darith nous explique qu’il a convié hier, alors que la cérémonie se déroulait à son domicile, le « top-bonze » de Siem Reap. De fait, un bonze qui prie encore en récitant des textes anciens… Et lui de se féliciter, que les prières citées soient allées bien au-delà de ce qu’il espérait.

Je pense que ce bonze a bien perçu chez Darith un fort véhicule pour la culture, et un homme qui fait au mieux pour ses concitoyens. On ne compte plus les jeunes qu’il aide à trouver un stage, les autres qui le saluent respectueusement au croisement d’une rue.


Sur la route, le dimanche 16 avril.


Voilà une petite journée que la famille nous a rejoint et que nous partageons avec elle quelques repas. Les festivités se terminent et le retour pour la capitale s’annonce. Nous partons dans le milieu de l’après-midi afin de laisser le flux humain se dissiper un peu.

L’avantage, c’est que nous traversons la campagne sous une lumière adoucie.

Je ne suis déjà pas sorti du Cambodge, et je sais que je devrai y revenir, ne serait-ce que pour connaître un peu ses campagnes. Les couleurs à la tombée du jour me fascinent. Un mélange de terre rougie par la chaleur perce le vert d’une végétation luxuriante. Quelques bâtisses en bois, intégrées à la végétation, surplombent les lieux.

A quelques dizaines de kilomètres de la capitale seulement, la plaine aux cent rizières, des milliers de fait, doit avoir quelque chose de féerique à la saison des pluies. On imagine volontiers quelques tâches vertes posées sur le reflet d’un ciel bleu azur.

En cette période, la sécheresse a atteint les cultures et déjà les palmiers à sucre nous offre un paysage superbe. Ils déchirent un horizon que les rizières s’étendant à perte de vue promettent plat. Ils sont plantés irrégulièrement et, isolés par instant, cassent l’uniformité du sol.

Il me faudra impérativement revenir à la saison des pluies !

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